La Lune luisait, embrasant la nuit de ses rayons blafards. L'air était froid, humide. Une pellicule liquide, engendrée par la fonte des neiges, semblait recouvrir la forêt endormie et silencieuse. Quelques rares pousses commençaient à tenter de se frayer un chemin au travers du verglas boueux, le soleil se faisait de plus en plus radieux, les températures plus clémentes. Une sorte de douceur printanière, une euphorie légère et éphémère, animait les chats, qui s'activaient joyeusement dans leurs campements, attendant impatiemment le retour des beaux jours. Les reines au ventre grossissant de dirigeaient dans une hâte heureuse vers la pouponnière, les guerriers guettaient les nombreuses proies émergeant de leurs terriers. Les apprentis riaient en se roulant dans l'herbe couverte de rosée, les chatons observaient leurs aînés avec des yeux arrondis par la curiosité. Il n'y avait là que les anciens pour se plaindre de leurs articulations douloureuses ou de leurs membres engourdis. Et aussi peut être Facéties. La seule chatte au monde qui s'entêtait à tout voir avec le même pessimisme railleur. Lorsque les autres voyaient le soleil et la tiédeur, elle grognait devant la bouillie brunâtre jadis appelée neige et l'humidité constante. Son humeur d'habitude exécrable n'était que plus attisée par le brouhaha permanent et la joie de ses congénères. Et à cela venait s'ajouter une sensation étrange et désagréable, qui la hantait depuis des jours. Tout le monde la savait très superstitieuse, et lorsque qu'elle était venue faire part de ses doutes à ses proches, elle n'avait eu droit qu'à des répliques polies mais légèrement moqueuses. Je vous laisse imaginer sa réaction. Les jours passaient, et l'horrible angoisse ne faisait qu'enfler, laissant derrière elle une Étoile des Facéties nerveuse aux muscles tendus. C'était trop beau. Trop calme. Toute cette joie ... Quelque chose clochait. Une chose invisible qui narguait la cheffe, laissant glisser un trouble narquois dans son esprit. Let the rain wash away all the pain of yesterday...

Minuit. La tigrée frémit, ondula. Ses pupilles se dilatèrent, happant les noires ténèbres de la pénombre. Dehors, les félins du Vent s'impatientaient, murmurant des paroles inintelligibles, excités devant la fiévreuse espérance de se voir autorisés à aller à l'Assemblée. L'Assemblée. Merde. Facéties bailla avec nonchalance, avant de se redresser et de s'extirper vivement de sa tanière exiguë. Elle haïssait les Assemblées. Ces conneries avaient toujours été une bonne occasion pour se taper dessus et se déclarer des guerres pour tout et n'importe quoi. Facéties ne croyait pas en la paix. Ce qui ne l'empêchait pas d'être révulsée à la vue du sang giclant et du martyr des siens. Et des autres. La meneuse escalada sans trop d'enthousiasme le promontoire, avant de scander quelques noms choisis au hasard. Devant la flamme brûlant dans le regard des heureux élus, Facéties ne put s'empêcher de lever vers les cieux un œil mauvais, avant de faire volte-face et de bondir vers la sortie du camp.

La marche fut courte. Bientôt, la tigrée put apercevoir le grand roc blanc, ainsi que les quatre majestueux arbres. Un instant, elle s'arrêta, dévisageant d'un œil inquiet la foule des félins de tous âges et de tous Clans. Son teint était cireux, l'angoisse inexpliquée l'étouffait tel un serpent. Agacée, elle agita vivement la queue, faisant signe à la petite troupe de la suivre. Puis s'élança dans la nuit.